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Les révoltés de l’an 2000

Slasheurs, digital natives ou encore post-millenials, autant d’appellations qui tentent de cerner la prochaine génération, communément nommée « Z », née dans les années 2000. Des qualificatifs qui tombent forcément dans la caricature d’une génération qui refuse pourtant les étiquettes et se montre particulièrement insaisissable.

Marqués par les crises en série, ces futurs épargnants et investisseurs détonnent par un rapport prudent à l’information et à la consommation. Le monde qu’ils préfigurent devra tirer les leçons du passé et se montrer plus humain.

Le monde se divise de mille possibles façons différentes. Le monde peut se diviser en nations, il peut aussi se diviser en religions ou en civilisations. Il se divise certainement en professions. Mais il se divise aussi en générations. Et il est évident que chaque génération apporte quelque chose que l’autre génération n’avait pas. Et étrangement, il y a entre tous les gens de la même génération des rapports incroyables. Jean Renoir

Regard prospectif sur les grandes tendances des prochaines années et leur impact sur le secteur financier et économique. Rédigé par le planning stratégique de l’agence Lonsdale, avec la participation de Stéphanie Baldinucci, responsable d’équipe personal banking à la Banque de Luxembourg.

 

Les générations se construisent sur des ruptures. Elles marquent des frontières entre « nous » et « eux », entre des modèles dominants et des contrepoints culturels, des outils jugés obsolètes et de nouveaux canaux de communication. Une génération se compare toujours à la précédente, se jugeant mieux préparée et plus consciente de l’évolution du monde et des comportements. Ainsi naissent les conflits de génération. Déjà à l’Antiquité, Aristote, observateur matérialiste, pensait que seuls les plus jeunes sont vraiment en prise avec le monde réel, jugeant que « l’exercice de la pensée et de la connaissance décline avec la vieillesse ». Même si les différences générationnelles ont toujours été perceptibles et commentées, c’est le passage au XXIème siècle qui marque une bascule et distingue clairement les générations entre elles. Aux « boomers » et à la « génération X » succèdent les « millenials », enfants de la mondialisation et porteurs d’une promesse de révolution numérique. Alors qu’ils ont nourri beaucoup de fantasmes technologiques ou sociétaux, ces individus (aussi appelés Génération Y) ont ouvert la voie à la prochaine génération des Z, nés entre 1996 et 2010 et destinés à bousculer les organisations et l’ordre établi.

Si les générations sont à ce point devenues un sujet d’étude médiatique (et mercantile) avec les années 2000, c’est essentiellement parce que les ruptures technologiques, économiques et sociales se sont accélérées à un rythme prodigieux et inédit. Un bond en avant des mutations et une banalisation des « disruptions » qui, conjugués aux macro-changements de la société, provoquent un nouveau fossé générationnel. À quoi ressemblera le monde à la lettre Z ? Quels sont les comportements de ces nouveaux épargnants et futurs investisseurs ? Quelle relation entretiennent-t-il avec l’argent ? Plusieurs scenarii se dessinent, traçons d’abord les contours.

Les enfants de la crise

Chaque génération porte les stigmates de son époque. La (presque) stabilité politique déterminée par une absence de conflits armés entre nations contraste avec une (complète) instabilité économique qui jalonne leurs parcours. La crise économique fait partie de leur paysage et ils ont vu leurs aînés essuyer les effets des crises successives de 2008 et de 2012. Même s’ils n’ont pas subi directement la récession, ils ont été sensibilisés dès le plus jeune âge aux risques financiers, que ce soit en observant les inquiétudes de leurs parents ou encore par une large documentation accessible1. Cependant, ils sont en première ligne de l’épidémie mondiale de 2020 et de ses conséquences économiques avec des diplômes dévalorisés, des stages de fin d’études avortés et un pouvoir d’achat en berne. En découle une autonomie financière largement retardée, avec une jeunesse qui s’allonge « par les deux bouts ».

Plus précoces grâce aux réseaux sociaux et à la conscience de leur époque, ils sont plus longtemps dépendants financièrement de leurs parents et repoussent les étapes structurantes de la vie d’adulte comme le premier investissement, l’âge du premier enfant ou l’engagement marital. Stéphanie Baldinucci, responsable d’équipe personal banking à La Banque de Luxembourg rappelle : « nous observons beaucoup de négativisme et d’inquiétude chez les plus jeunes, l’entrée sur le monde du travail est de plus en plus difficile et ils vont devoir s’endetter au moins sur trente ans pour acquérir un bien ». Ces changements provoquent une crise identitaire profonde qui renforce le sentiment d’entre-soi et met à mal une confiance déjà fragilisée envers les institutions.

La société de la défiance

La génération Z diffère particulièrement des précédentes par une vive animosité et une colère à l’égard des précédentes. Les mouvements jeunes et populaires comme « Friday for future » ou « Black Lives Matter » se démarquent par une volonté de renverser les icônes du passé et de demander des comptes aux aînés. Alors que Greta Thunberg accuse ouvertement les précédentes générations de ruiner son avenir et qu’elle devient la cible de Donald Trump sur Twitter, les débats entre générations se poursuivent sur les réseaux sociaux, en particulier sur TikTok, où les plus jeunes filment leurs confrontations avec leurs parents. Les enfants des années 2000 tiennent ainsi responsables les « baby boomers » des dérèglements climatiques et économiques à l’œuvre. Pour 51 % d’entre eux, la génération d’après-guerre a conduit par ses excès à la détérioration de leur niveau de vie et a fait empirer la santé économique mondiale. Cette défiance généralisée conduit à une « chute des idoles » et à une mise à mal de l’autorité.

Les médias, les institutions officielles mais aussi les influenceurs traditionnels sortent de leur cercle de confiance. Les plus jeunes se reportent davantage sur leurs sphères privées, accordant davantage de crédit aux « pairs », à l’opinion des amis et aux discussions de groupe. 82 % des 13-21 ans croient leur famille et amis plus que n’importe quelle autre source d’information. Par conséquent, les plus jeunes sont naturellement moins enclins à être fidèles envers les marques ou les organes de confiance habituels. Comme nous le rapporte Stéphanie Baldinucci, « les jeunes sont de moins en moins fidèles à leur banque, là où leurs parents passaient une grande partie de leur vie dans la même banque, les jeunes s’en vont si l’expérience humaine ou si la relation ne sont pas optimales ».

Les jeunes générations ont un désir d’instantanéité et veulent ouvrir un compte aussi rapidement que de réserver une chambre en ligne ou de commander un Uber. Stéphanie Baldinucci

L’apocalypse de l’information

Nés avec la quatrième révolution industrielle, celle de la digitalisation massive et des actifs connectés, les individus de la génération Z sont les premiers à ne pas avoir connu un monde sans Internet ni réseaux sociaux. Leur accès à l’information est instantané et leur soif de nouveaux contenus inétanchable. En moyenne, ils prennent en main leur premier smartphone à l’âge de 10 ans et guident les usages sur des réseaux qui leurs sont dédiés. Leur ultra-connexion engendre une impatience grandissante qui fait de l’attente un facteur bloquant et dissuasif et challenge les organisations. « Les jeunes générations ont un désir d’instantanéité et veulent ouvrir un compte aussi rapidement que de réserver une chambre en ligne ou de commander un Uber » observe Stéphanie Baldinucci.

Habitués à naviguer de manière nomade dans des flux de contenus gigantesques, ils sont plus autonomes que les précédentes générations et avertis face aux « fake news » et à la désinformation. Ne vouant plus une confiance aveugle aux médias et aux experts, les nouvelles générations font du doute un premier réflexe face à une information et prennent l’habitude de remettre en cause les sources. Ils font ainsi du « fact checking » une aptitude répandue. Une information n’est plus uniquement valable parce qu’elle est prouvée mais parce que son émetteur est jugé digne de confiance ou que le propos facilite une forte identification personnelle.

Les jeunes s’en vont si l’expérience humaine ou si la relation ne sont pas optimales.Stéphanie Baldinucci

À partir de ces points saillants et structurants, nous pouvons écrire deux scenarii qui ont pour seul objectif de tracer des voies prospectives (mais relativement proches) sur la relation que les Gen-Z peuvent avoir avec la banque en grandissant. Comme tout exercice de scenario fiction, ces deux propositions conjuguent des faits vérifiés et des parti-pris subjectifs, opposant la prospective à la prédiction.

Scénario 1 : « La banque horizontale »

Même si 84 % des jeunes prennent leurs premières décisions financières sur l’avis de leurs parents et que le choix de la première banque est majoritairement guidé, leur gestion quotidienne et les décisions suivantes sont plus autonomes jusqu’à leur vie d’adulte. Surtout, leur exigence s’exprime sur le parcours utilisateur. Plus avertis et exigeants, les Gen-Z réinventent les canaux de communication des banques et les orientent sur le mobile, devenu leur unique moyen de communication. Ils utilisent alors des « super applications mobiles » permettant de faire des opérations financières (comme leur première action en bourse) tout en recueillant en temps réel les avis de conseillers et de leurs proches. Le réseau social TikTok devient aussi une « plateforme d’éducation géante » où des conseillers décryptent en direct les phénomènes financiers.

Avec le mobile et les plateformes de messagerie instantanées, la banque consoliderait son rôle d’adjuvant et ouvrirait des passerelles de contact permanentes. Les banques se concentreraient sur des relations de confiance et horizontales avec leurs clients, faisant preuve de transparence dans leurs prises de parole et leurs interfaces. La relation se ferait plus instantanée et se poursuivrait sur des canaux « de l’intime » comme WhatsApp, sur lequel le banquier serait régulièrement en discussion avec ses clients en tant que personne de confiance. Pour les tâches du quotidien, les intelligences artificielles se développeraient pour offrir des réponses aux clients dans l’immédiat et envoyer régulièrement des informations par « chat ». Pour désamorcer certaines discussions potentiellement difficiles ou stressantes, banquiers et clients pourraient choisir de s’entretenir par messages et « stories » (vidéos courtes et éphémères). La banque adapterait sa grammaire pour offrir toujours plus de proximité et de services.

Scénario 2 : « Les nouveaux puritains »

Marqués par les crises économiques de leur jeunesse et ayant été au contact de l’angoisse financière de leurs parents, les épargnants de la génération Z se montrent prudents et constituent des épargnes de précaution. À la jouissance des générations X et Y s’opposent la prudence et le pragmatisme d’une nouvelle population qui souhaite à son tour avoir droit à l’investissement, à l’épargne et à la propriété. Alors que les « millenials » se démarquaient par une envie de nomadisme et préféraient vivre des expériences plutôt que de posséder des biens matériels, voyager plutôt que d’habiter, partager plutôt que capitaliser, la génération suivante renoue des liens avec des valeurs conservatrices. Cette « génération sacrifiée » se concentre sur des valeurs tangibles et préfère ralentir la consommation pour mieux gérer ses finances et anticiper le futur. À tel point que l’épargne des ménages obtiendra un record inégalé dans de nombreux pays, ralentissant la production et inquiétant l’économie.

L’attention budgétaire et le modèle dominant de « fourmis » seront transmis par la suite aux enfants. Ces derniers disposeront ainsi de tirelires numériques qui les inciteront à faire des économies et enverront sur leurs téléphones le montant disponible en temps réel, les spéculations possibles et le montant à atteindre pour obtenir le jouet de leurs rêves. Les outils d’éveil sensibiliseraient également à l’investissement avec des monnaies virtuelles pour les plus petits permettant d’être converties en sucreries, en lecture d’histoires ou même en soutien aux grandes causes écologiques ou animales… et feraient ainsi la fierté des Z.

Dans les deux cas, cette génération « anxieuse » mais combative impose aux banques des relations sans couture et transforment des outils numériques et artificiels en canaux de proximité et humains. Peut-être que le conseiller bancaire s’infiltrera dans les prochains jeux à succès en ligne comme « animal crossing » pour aider à gérer ses comptes virtuels ? Certaines plateformes ultra-affinitaires des générations Z comme Twitch disposent déjà de leurs propres monnaies virtuelles et leur valeur augmente progressivement. Les banques de demain doivent composer avec un univers sans frontière ni limites. Tant mieux.

À retenir

Les enfants de la crise apprennent des erreurs de leurs aînés et se différencient des « millenials » par un rejet des consommations excessives et une épargne minutieuse et protectrice.

L’ultra-connexion et l’omniprésence du mobile au quotidien imposent une exigence d’immédiateté à laquelle les banques doivent répondre intelligemment. Les réseaux de l’instantané permettent aux conseillers de rentrer dans une discussion de proximité et une relation chaleureuse avec leurs clients

La présence régulière des « fake news » dans le parcours des jeunes générations impose de nouveaux schémas relationnels avec les institutions. Pour gagner leur confiance, les banques doivent faire preuve de transparence et de pédagogie en multipliant les formats et les canaux.

Un site Internet dédié

www.banquedeluxembourg100ans.com a été spécialement conçu pour le centenaire de la Banque. Accessible à tous, ce site révèle 100 ans d’histoire économique et sociétale en remontant le temps et analyse les enjeux de demain.

1 « The Big Short », « Margin Call » ou encore « The Laundromat » sont des succès au box-office qui dépeignent sous l’angle du divertissement des sujets comme la crise des subprimes ou les Panama Papers.